En goguette à l’autre bout de la Terre, une furieuse envie de nature et de solitude m’a pris. Je me suis décidé à partir pour cinq jours de randonnée dans les montagnes japonaises. Armé d’un sac à dos, d’un bâton en bambou et de deux onigiris, voici mon récit.
Le Kumano Kodo est le St Jacques de Compostelle japonais. Situé au sud d’Osaka, dans la péninsule du Kii, c’est un pèlerinage sacré qui mène à trois temples majeurs de la spiritualité japonaise. Ces chemins sont pratiqués depuis plus de mille ans. Il y a plusieurs parcours possibles. Celui que j’ai fait dure cinq jours, partant de Takijiri, pour finir à Nachi en passant surtout par Hongu Taisha, le lieu saint. C’est la route dite de Nakahechi, celle qu’aurait suivi le premier empereur du Japon, guidé par un corbeau à trois pattes.
Takahara, le 29.9 :
Ce matin l’aventure commence dans le dédale de bus et de trains en direction du Kumano Kodo. Le paysage alterne ville, zone industrielle et bord de mer. Petit à petit moins de gris et plus de vert. L’excitation nerveuse aura raison de ma fatigue, pas de sieste dans le train.
A Takijiri, je prends des informations auprès de la guichetière. Il ne semble pas y avoir d’ours. Quand je pose la question du camping sauvage, elle prend l’air contrarié des japonais. Cet air qui signifie « Non, mec, ça se fait pas. Tu devrais le savoir. Mais je vais rester évasif pour ne pas perdre la face. » Après que j’aie insisté un peu, elle ne répond plus que par « I don’t know ». On dirait un bot dans un jeu vidéo, que tu as énervé par les mauvaises actions et qui bloque toujours sur la même phrase. Je fais le touriste et je repars avec un bâton en bambou et une amulette de protection.
Premier temple. C’est beau mais j’ai tout de même un truc dans les tripes qui ne va pas. Le fait d’être tout seul, l’environnement complètement différent, le son des insectes et oiseaux inconnus, les frelons géants. Bref, je ne suis pas au top.
Arrivé à Takahara, je visite le beau temple avec des camphriers taille Baobab en décor. Je repère un bout de terrain plat pour mettre ma tente. J’en avise deux pèlerins qui arrivent, pour connaître leur avis sur le sujet. Le fameux sourire crispé. Par le truchement du hasard (ou du pouvoir de l’amulette), un type passe en voiture (ha oui précision, on est bien paumé dans les montagnes). La femme du couple lui demande un spot pour ma tente. Et le gars dans la voiture, tout grand et tout pataud façon Goofy, me sourit et me dit « Come in the car ». « You are a lucky boy » me dit la pèlerine. Je pars je ne sais où.
J’arrive dans un hôtel. Le patron est super sympa. Il me montre un endroit plat avec vue superbe à côté de sa cabane. Je l’entendrai plus tard jouer de la guitare. Près de moi, un vieux coupe des bûches à un rythme très calme. Le patron me montre les toilettes (« Japan Hi Technology »), l’eau… et me propose même le onsen. Travaillant dans cet hôtel, qui accueille principalement les touristes-pèlerins, il y a un couple d’italiens wwoofers. J’offre mes services aussi et me voilà embauché comme serveur. Tout le monde est sympa et m’offre à manger. C’est dingue!
Watazane Onsen, le 29.9 :
Levé aux aurores, je plie ma tente sans bruit. J’arpente la forêt avec mon gros sac, pas très rassuré à l’idée de croiser un ours (merci Max). Je ne vois aucun humain pendant trois heures de marche. Assez fou de marcher comme ça tout seul. Le sentier est splendide, les troncs sont droits comme des colonnes. Il y a beaucoup de spiritualité. Plein de pensées viennent dans ma tête et c’est bien. Je croise une biche qui s’enfuit. ça me donne des sueurs froides. Je pense a Giono et sa dualité fascination / terreur face à la nature. Je suis en plein dedans.
Tsugizakura. Temple superbe entouré de cèdres millénaires et majestueux. Pause thé dans un bâtiment traditionnel. « Puis-je camper? » et le fameux sourire « je suis gêné, nanana.. » Finalement, la taulière m’indique un lieu à quatre kilomètres du village dans la forêt. Je suis fatigué comme jamais mais je me dis que je n’ai pas le choix.
Le spot est chouette mais bien isolé et proche d’une maison abandonnée. J’installe mon campement et j’entends une branche craquer pas loin. Bizarre… Je m’approche et je vois un animal de taille moyenne qui se faufile dans les branches. Ourson? Singe? ça grogne et ça grogne sévère. Je prends mes jambes à mon cou et me voilà hors d’atteinte. Le singe (c’en est un, j’en suis sûr) secoue son arbre comme un diable pour m’intimider. Je suis comme un idiot et je vois les sacs de bouffe, qui doivent le mettre dans cet état. Je me dis que si je ne fais rien, il va se carapater avec mon 4h et ma nourriture pour les jours à venir. Précision : je suis sur une section où il n’y a plus de superette avant 1 jour et demi de marche…
J’y retourne et décide courageusement de ne pas rester dans le coin. Après tout, je ne suis qu’un visiteur sur son territoire. Je reprends mon paquetage et rejoins une route pas loin de là. Miracle, il y a un arrêt de bus. Je prends le premier qui vient. Il me fait gagner un jour de marche et me pose près d’un camping. Le bain chaud du onsen ce soir là me fit un bien fou.
Eh bien ! Heureusement que je sais que tu es revenu ! Quelle expérience ! Quel pays étrange !!Je ne savais pas qu’il y avait des ours au Japon mais quand je vois les photos de ces magnifiques forêts je frissonne rétrospectivement !
Bises
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on avait eu une version raccourcie et édulcorée de tes aventures!!
Est ce l’explication du faciès crispé qu’on avait remarqué sur certaines photos?
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